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Anne Bourrel, auteur La Manufacture de livres

Ensuite

18 Octobre 2007 , Rédigé par anne bourrel écrivain pop Publié dans #ecrivainpop

 

Vers midi, quelqu’un a frappé à ma porte, j’ai toujours aimé les visites, et c’est donc le cœur léger que j’ai ouvert. Mais l’inconnu ne m’a pas inspiré confiance. Un air lugubre, les joues creuses et à la main, une Bible. Je me suis dis, encore un de ces témoins, un de ces apôtres, un de ces mormons qui voudrait faire du commerce avec Dieu. J’ai annoncé la couleur d’entrée, crâneuse : Rangez ça, mon bon monsieur, ici, on est athée, agnostique ou païen, selon l’humeur, rangez ce bouquin, au revoir, bon vent. Il a apprécié mon mauvais humour à sa juste valeur, me jetant un regard las. Il a tordu sa bouche aux lèvres fines, étonnamment rouges et dans une sorte de sourire, m’a dit, avec une voix, mon Dieu, glacée : ne vous y trompez pas, je ne viens pas faire des boniments, je suis votre mort.

 

J’ai vu dans ses yeux que ce n’était pas de la rigolade.

 

Je suis tombée, évanouie, oh, quelques secondes à peine, sur le sol dur et froid, et quand j’ai ré-ouvert les yeux, le type se tenait toujours devant moi, mais il avait rangé son vieux bouquin quelque part, ou peut-être l’avait-il fait disparaître (la mort est-elle magique ?).

 

J’ai aussitôt senti mes membres se solidifier, mes bras, de la pierre, ma tête, du marbre. Au loin, j’ai entendu jouer des trompettes, un air cubain que je connaissais bien. La musique s’est rapprochée, ils étaient tous là, Ruben Gonzales au piano, Ibrahim Ferrer qui chantait... L’homme aux joues creuses, Ma Mort, m’a enlacée et nous avons dansé la plus dingue, la plus envoûtante des salsa.

 

 Je suis parvenue à chuchoter à l’oreille du type : alors, ça y est, je suis morte ? Presque, il a répondu, avec sa bouche froide comme un frigo, ce n’est que l’antichambre.

 

Le reste est moins drôle. Il m’a fallu assister aux pleurs des amis, aux sarcasmes des croque-morts, à la douleur des proches, à l’indifférence de bons nombres de vivants. Je passerai sur ces détails.

Le plus terrible, c’est d’être sans voix. Ne plus pouvoir se mêler à la conversation, ajouter son grain de sel, corriger les erreurs dans les dates, faire sourire avec un jeu de mot, rire à gorge déployée. Je le regrette : toutes les voix se sont tues et il n’y a plus rien que l’infiniment bleu gris de l’eau.

 

 

 

 

photographie: paul-eli rawnsley

 

 

 

 

 

 

 

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