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Anne Bourrel, auteur La Manufacture de livres

Grillades

21 Octobre 2019 , Rédigé par anne bourrel

 Menés par le bout du nez depuis  l'autoroute de Cañuelas, jusqu'aux grillades du dimanche, nous arrivons à Uribelarra affamés par les perspectives. Des voitures délavées, aussi anciennes que mes souvenirs d'enfance en Renault 12 sur d'autres routes et d'autres autoroutes, nous accueillent en cahotant dans les nids de poule sous le regard d'un petit âne un peu triste; lui aussi sans doute à l'âme bandonéon. Il vient de voir passer Malena dans une de ces bagnoles, un Dodge bleu mer oubliée, reggaeton à fond les ballons, la renégate. 

Les restaurants sont alignés comme les vaches noires dans la pampa que l'on vient de traverser. On les y retrouve fumantes et toutes découpées. Mes pieds dans la voiture côté passager dansent la Chacarera d'hier soir, pour ne pas oublier, rien oublier, rien, aucune danse, aucune image, aucun rire de mes compagnons de voyages, ces amours, comme on dit ici, Marcos et Celeste.

Marcos, j'ai dansé avec lui il y deux ans lors de mon premier voyage à Buenos Aires. C'était l'été et il se tenait près d'un immense ventilateur. Un coup d'oeil complices et l'abrazo étoilé, cette magie de la reconnaissance, un coup de foudre amical et depuis, de milonga  en milonga, nous sommes amis. Amis pour la vie. Nous avons une grande histoire de partage maintenant. Les choses simples, il n'y a pas mieux. Celeste, je la connais depuis le matin. C'est une tornade de mots, de rire, d'idées qui fusent. Entente immédiate. Nous serons trois indissociables pour cette journée cinématographique.

La grillade à partager est servie sur un petit plat de bois qui rappelle les plateaux dans les sushis bars. Mais ici, pas de poisson léger. De la viande, forte et savoureuse, bien cuite, paysanne. Des papas frites, des salades dont les couleurs éclatent dans le gris intégral de cette journée sans soleil - oui, mais le soleil, on se le refait à nous trois.

 Uribelarrea a été fondée par des basques français,  il y a un siècle et demie, et ça se voit, les hommes portent encore le béret, le grand béret basque rouge ou noir. Le fils du patron du restaurant que nous avons choisi est d'origine galicienne revendiquée. Je reconnais ces visages, je sais qui ils sont. 

Dans le restaurant, le sol est fait de cailloux gris ; un parterre de graviers pour la salle à manger. C'est très joli ce rideaux de coton fleuri orange, délavé comme la carrosserie des voitures, pour passer côté toilettes. Tout est rustique, à l'opposé des élégances de la capitale. J'aime aussi, autant le dire.

Dans une vielle maison abandonnée qui me rappelle Cent ans de Solitude, nous nous inventons propriétaires. J'ai la clé. Je suis d'ici. D'ici comme d'ailleurs. Le monde m'appartient, Celeste et Marcos cette après-midi me l'ont offert.

Je viens de me souvenir pourquoi j'ai pris un billet d'avion en juillet dernier et mesurant le chemin parcouru depuis, je souris intérieurement aux forces qui m'habitent. 

Dans la voiture, nous écoutons du tango bien sûr et Argentino Ledesmas, du rap burkinabé, du rock national et Abel Pintos, le chouchou variétoche romantique.

 Nous rentrons alors que la nuit doucement nous accueille. Les gratte-ciels illuminées, les vagues de rouges des voitures neuves. Tout brille, la nuit à Buenos Aires.

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