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Anne Bourrel, auteur La Manufacture de livres

El Beso et autres

12 Octobre 2019 , Rédigé par anne bourrel

El Beso l'après-midi, c'est un peu comme notre maison du tango le dimanche. Tout le monde se connait et les nouveaux venus/nouvelles venues sont immédiatement repérées. La dame de l'entrée me demande si je suis seule ou accompagnée; selon je ne serai pas placée au même endroit du bal.

Je me retrouve entre une blonde qui sourit et une brunette qui fait son regard de braise. Pas le temps de m'asseoir qu'un premier danseur fait le tour du bal et m'envoie le fameux coup d'oeil qui invite. 

Je pourrais avoir le trac, quand même, bon, je ne suis que la petite française qui vient danser dans LA ville du tango. Ces gens pratiquent depuis des décennies, moi depuis quelques années mais je n'ai pas le temps pour le trac...Carlos (il me dira son nom à la deuxième danse), Carlos m'a serrée fort dans ses bras, sa joue colle à la mienne, ça va, elle est douce, fraichement rasée et parfumée et on tourne et on glisse sous les lustres à pampilles. Quand il apprend que je suis française, entre le premier et le deuxième tango, on papote vite fait, il me demande si ça ne me dérange pas un abrazo à l'Argentine parce qu'il sait que les parisiennes aiment bien danser moins rapproché. C'est délicat de sa part. Je lui assure que non, et puis moi, j'suis pas parisienne, je lui dis, je viens de la Mer Méditerranée, j'suis latine. Il sourit, un peu inquiet quand même. Et il dit : je préfère demander. La dernière fois, avec une française, je me suis fait gronder. On rigole. On reprend la danse. C'est vrai que cette joue collée à la mienne, son bras droit qui m'encercle totalement et sa main gauche dans la mienne, ça pourrait être beaucoup. La danse s'achève et il me ramène gentiment à ma place. Je m'assois, souris à la blonde et la brunette qui se rassoient aussi. Cortina et ça repart.

La blonde est invitée et puis moi. C'est un homme de taille moyenne aux muscles à la Popeye. On le dirait russe. Un marin russe. Tout le monde est si mélangé ici. On retrouve ici tous les visages d'Europe et d'Amérique. L'abrazo est un peu moins serré, pas de joue collée,  je ne sais pas si c'est mieux ou pas. Je prends les choses comme elles viennent, la danse comme elle se fait. El Beso l'après-midi a un air de thé dansant. Je ne sais pas si ça me plait ou pas. Je danse dans la musique, dans les bras, tout est plus simple, il n'y a pas de complication.

On me raccompagne. On revient me chercher. Blonde danse aussi. Brunette un peu moins, c'est que son regard de braise donne aussi l'impression qu'elle fait un peu la gueule. 

Et puis vient Noel.

80 ans, peut-être davantage. Il me propose de danser avec lui alors qu'il passe en virevoltant devant moi, assise entre mes deux copines muettes. Tiens, ça se fait, ça? Le danseur qui te fait signe alors qu'il est en train de danser et murmure un: après on danse le prochain tango?! que tu lis sur ses lèvres. Ça me fait marrer. J'accepte d'un hochement de tête.

Et puis j'oublie car le bal tourne, tourne, tourne et j'aime regarder les couples qui dansent. leur technique ici est celle du tango d'avant, le vieux tango porteño à pas serrés. 

Mais Noel revient.  Abrazo serré mais confortable. Technique impeccable.

Deuxième tango, c'est l'heure où on s'échange les prénoms, c'est qu'au deuxième tango, on a eu le temps de s'apprécier alors  autant se présenter. Il me dit son prénom, hérité d'un grand-père français. 

Il m'apprend qu'il était professionnel dans sa jeunesse et qu'il a dansé dans de nombreuses villes de France. Il les énumère lentement et sans hésitation comme s'il récitait un long poème. Combien de fois, à combien de danseuses compatriotes a-t-il dit les mêmes choses, les mêmes phrases? Peu importante est la vérité, qu'il ait été danseur sur scène ou pas, seul maintenant compte

Avant que le troisième tango reprenne, il me dit avec le regard de jeune homme de Gardel et cet accent charmant qui devait faire craquer les filles dans les années 50 :

Je te donne mon tango, tu me donnes ton français.

On danse encore et on dansera longtemps, valse et milongas et tangos. Avec Noel et d'autres dont j'oublie le nom mais pas la danse.  Noel me glisse sa carte dans la main, à l'ancienne, pour qu'on aille pratiquer au petit studio qui est juste à côté. On fera de belles choses, tu verras. Il parle du tango, bien sûr.

Je le remercie sans rien promettre. Evidemment.  

Mon ami Marcos me rejoint en fin d'après-midi et on tourne et tourne encore une heure. La musique est belle, d'Arienzo, Di Sarli et Pugliese à fond les manettes. 

Et Noel est reparti au bras d'une autre, d'une autre et une autre encore, quel champion, et toutes ces autres ont eu comme moi et sans nul doute, la petite carte glissée dans la main. Il finira bien par en convaincre une de le suivre au studio pour faire toutes ces belles choses dont il rêve encore; je le lui souhaite.

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